Historique

Retrouvez dans les lignes ci-dessous le texte rédigé à l'occasion du 75ème anniversaire de la Lyre en 1998. L'histoire récente de la Société est en cours de rédaction...

HISTOIRE D'UNE NAISSANCE

En cette soirée du 22 janvier 1923, Odette tricotait, comme presque chaque soir, des chaussettes pour « ses hommes ». Derrière son calme apparent, une ride supplémentaire au coin de l'œil trahissait pourtant un peu d'inquiétude. Adrien, juste 17 ans, n'était pas rentré. Ce n'était pas dans ses habitudes... surtout un lundi soir. En partant au travail ce matin, il avait pourtant averti :

  • Je dois voir des copains à la Maison du Peuple, il faut qu'on discute ! Mais on ne fera pas long.

Or, Odette venait d'entendre sonner 10 heures au clocher de St-Jean. Par cette nuit glacée, s'il avait glissé sur les pavés du Court-Chemin... Mais elle se rassura : Adrien est un jeune apprenti menuisier robuste, sérieux... Elle avait raison : quelques minutes plus tard, elle entendait grincer la porte d'entrée. Au pas alerte qui gravissait les deux étages de ce modeste immeuble de la Planche-Supérieure, elle reconnut immédiatement son fils. Dans la pièce à côté, le père ronflait aussi fort que le poêle à charbon.

  • Tu es bien en retard et le souper est froid... reprocha-t-elle, sans y mettre toutefois trop d'âpreté.

Au premier coup d'œil, elle avait remarqué qu'Adrien avait l'air tout guilleret. Il allait probablement lui annoncer une bonne nouvelle.

  • Figure-toi, maman, qu'on a décidé de créer une fanfare !
  • Quelle drôle d'idée ! Il y a déjà assez de fanfares à Fribourg !
  • Je sais mais que veux-tu ? Les gens de notre condition n'y ont pas leur place, surtout ceux qu'on voit au Peuple. Il faut montrer patte blanche (le père aurait dit patte noire) ou être pistonné... Si on n'est pas de leur bord, faut pas y penser !


Il avait raison Adrien. Les événements qui ont suivi la grève générale de 1918 se sont partout traduits par une crainte des milieux bourgeois envers tous les mouvements ouvriers, fussent-ils aussi pacifistes qu'une fanfare. La répression n'y était pas allée de main morte, avec la bénédiction du très catholique clergé de l'époque. Une fois de plus et comme toujours, le Sabre et le Goupillon avait fait alliance contre les plus faibles.

Mais revenons à Adrien et à sa fanfare. Ils étaient effectivement 16 camarades qui avaient répondu à l'invitation d'Arnold Sieber, ce 22 janvier 1923 à la Maison du Peuple. D'emblée, le comité a été désigné :

Arnold Sieber président et directeur
Jonin vice-président
Roubaty secrétaire
Ferrero caissier
Bourqui bibliothécaire
Guinchard représentant du Parti Socialiste
Vaucher président de l'Union ouvrière

Les autres membres se nommaient Albiseti, Christinnaz, Clément, Lösli, Pernet, Poncet, Schneider, Waeber, Grossenbach et Hermann.

Samedi 16 juin 1923. Odette est allée au marché. Elle acheta 5 kg de pommes de terre pour 60 ct. Elle aurait bien voulu 2 ou 3 œufs, mais à 25 ct la pièce, vous n'y pensez pas ! Elle croisa Mme de Weck, chez qui elle avait été servante autrefois. Les deux femmes discutaient volontiers, elles avaient conservé de bons contacts. Ce soir, Mme de Weck ira au théâtre : on y joue « Les Bouffons ». Odette montera un bout du chemin de Lorette et se paiera un chouette ticket de soleil couchant.

  • Madame de Weck, vous qui lisez la Liberté, est-ce vrai ce qu'on raconte ? La guerre pourrait revenir ?
  • Ne dramatisons pas, mais il y a plus de 35000 chômeurs en Suisse. Dans la Ruhr, la grève des mineurs et des cheminots sévit. Il y a des manifestations aussi en Suisse. Pourvu qu'elles n'atteignent pas Fribourg ! Mais je crois que le Conseiller fédéral Schulthess saura maintenir l'ordre. Au fait Odette, Adrien a-t-il encore ses idées de faire de la musique ?
  • Oui, certainement ! Ils ont une assemblée ce soir !
  • Alors dites-lui que j'ai lu dans la Liberté ce matin qu'à Bramois, un ami de la fanfare a payé 220 francs pour avoir le droit de porter le drapeau durant deux ans. Je souhaite qu'ils trouvent aussi généreux à Fribourg.

Le lendemain matin, Odette n'eut pas besoin de questionner Adrien, tant celui-ci était loquace :

  • Tout va bien maman ! On a adopté les statuts, on a nommé Bourqui président. Grâce à la Kermesse, on peut louer des instruments. Avant la fin de l'année, on pourra donner notre premier concert !

Après un accouchement certes pas sans douleurs, la Musique Ouvrière de Fribourg était née, parrainée par des hommes bien décidés à prouver que leur projet n'était pas une utopie.

L'ERE ARNOLD SIEBER

Adrien a demandé à sa femme Sylvie, ce matin du 12 septembre 1977, de lui sortir le costume sombre. C'est ce jour qu'on enterre Arnold Sieber. Il en a parcouru du chemin Adrien depuis la fondation de la Musique Ouvrière. De sa « Basse » natale, il est monté dans la « Haute » lors de son mariage. Très haute même puisque c'est au Guintzet et dans un immeuble de la coopérative « La Fraternelle » qu'il a élu domicile. Aujourd'hui septuagénaire, des tas de souvenirs lui reviennent en mémoire. Souvenirs de tout ce qu'il a vécu avec celui qu'on pleure aujourd'hui. Arnold Sieber a été l'incontournable animateur de « sa » Musique Ouvrière.

  • Je viens aussi à l'enterrement, dit Sylvie. Pour moi aussi, Arnold a beaucoup compté. Tu te souviens de l'inauguration du premier drapeau en 1924. C'est là qu'on s'est connu ! Et les Kermesses...
  • Oui, il en a fait du boulot Arnold. Sa fanfare a adhéré à l'Union Suisse des Musiques Ouvrières. Seule ambassadrice du canton de Fribourg dans cette association, elle a participé à presque toutes les fêtes fédérales. Elle a même organisé celle de 1935. Durant les années 30, malgré les difficultés économiques, elle tient bon. Même les années de guerre ne la mettront pas à terre.
  • En 1958, Arnold quitte la Musique Ouvrière après 35 ans de direction. En voilà un qui aura mérité sa médaille !

Après l'enterrement, Adrien et Sylvie sont allés boire un verre avec la quasi totalité de la fanfare. Ils ont commenté l'hommage que le président Georges Friedly a rendu au défunt.

  • J'ignorais qu'Arnold avait rempli autant de fonctions, fit Sylvie.
  • Pour un buraliste postal, être directeur de fanfare, député au Grand Conseil, Conseiller Général de la ville, ça devait faire un emploi du temps bien rempli.
  • Sans compter les comités de la Fraternelle et de la Société de tir ouvrier. A l'Union Suisse des Musiques Ouvrières, il était membre de la Commission de Musique.


Adrien se remémore aussi la sortie à Grenoble de 1952. Les uniformes, plus au goût du jour, sont mis en cause. Il faudra attendre 1956 pour revêtir les nouveaux.

  • On n'a pas mis aussi longtemps pour organiser notre Amicale des Dames, fit Sylvie.

Effectivement, cette société gravite autour de la fanfare depuis 1952. Ses services sont souvent appréciés des musiciens.

A la démission d'Arnold Sieber en 1958, la fanfare a pris conscience qu'un chapitre de son existence s'est achevé. Que lui réserve le suivant ?

L'EVOLUTION SOCIOCULTURELLE

Tu n'as pas faim, Adrien ?

  • Je suis un peu anxieux, c'est tout.

Ce 6 mai 1960, Adrien se tenait la tête en pensant à l'assemblée de ce soir. On devait discuter de la participation à la Fête-Dieu.

  • Ca va diviser la société, créer des clans...

Sylvie plaida :

  • La Musique Ouvrière ne doit pas se cantonner exclusivement à des activités liées aux mouvements ouvriers. En décembre dernier, vous avez participé à la réception du nouveau Conseiller fédéral Jean Bourgknecht. La procession de la Fête-Dieu, ça peut être une bonne publicité pour vous.
  • C'est juste, dit Adrien avant de plonger sa cuillère dans sa soupe. L'appétit revenait...

Pourtant, la décision de participer avait fait quelques dégâts. Certains membres ne l'ont pas acceptée. Flirter avec les curés, vous n'y pensez pas, eux qui nous ont toujours voués à Satan !

Trois ans plus tard...

  • Tu te rends compte Sylvie ! On va bénir notre nouveau drapeau à la cathédrale !
  • Tu vois Adrien, tout évolue, même les mentalités ! Celles de nos membres comme celles des autorités politiques et religieuses. Celles des autres fanfares aussi. L'Union Instrumentale nous a invité à l'inauguration de ses uniformes. Nous avons droit, nous aussi, à l'aula de l'université pour notre concert.
  • Pour en revenir au drapeau, Adrien : vous avez au moins un parrain et une marraine ?
  • Naturellement ! Ce sera Auguste Chassot et Rita Jaquet-Pozzi. Mais assez blagué Sylvie ! Dépêche-toi de préparer ma valise. Demain on part à Seine-sur-Mer avec la gym Satus.

LA “ CAMPAGNE D ‘ ITALIE ”

Elle avait fière allure la Musique Ouvrière avec son nouveau drapeau. On l'avait même invitée à la Fête Cantonale des Musiques Fribourgeoises de Bulle en 1965. La même année elle était la fanfare officielle du Comptoir de Fribourg. Mais en janvier 1973, c'est vers l'Italie que se dirigent les regards...
Sylvie et Adrien n'y étaient jamais allés. Une aubaine ! Ils s'étaient réjouis comme des gamins à l'idée de partir dans le Piemont, à Cigliano. Ils avaient eu raison de se réjouir, tant la fête fut belle ! Cinq corps de musique de la région se sont joints pour célébrer le jumelage de la Banda de Cigliano avec la Musique Ouvrière de Fribourg. Une amitié solide s'est créée entre les musiciens, la preuve...

Adrien a assisté à l'assemblée du 26 janvier 1991. Il est maintenant membre d'honneur de La Lyre Musique Ouvrière. C'est en effet depuis 1978 que “ La Lyre ” a été ajouté à “ Musique Ouvrière ” dans la dénomination de la fanfare. Il s'agissait d'une part de permettre à chacun d'exercer ses talents musicaux sans restriction politique et d'autre part de tordre le cou à certains préjugés, mais ceux-ci ont la vie dure !
En rentrant, un peu nostalgique, Adrien raconte à Sylvie :

  • La Lyre ira de nouveau à Cigliano en septembre. Dommage que nous sommes trop vieux.
  • C'est vrai Adrien. Tu te souviens quand ils sont venus en 1975 à l'occasion du Comptoir. Ils ont été les vedettes de la halle des fêtes. En 1978, ils sont revenus pour l'inauguration de nos uniformes. A l'aula de l'université, ils ont donné un concert en compagnie de la Concordia, de la Landwehr et de l'Union Instrumentale.

La Lyre est retournée à Cigliano en 1979 et 1991. A croire que les spaghetti et le barbera conviennent bien aux Fribourgeois. Mais les plaisirs de la table ne sont pas les seuls motifs de leurs déplacements en Italie. Il y a la découverte d'un style de musique très différent du nôtre. Il y a surtout l'amitié créée entre musiciens, la chaleur et la spontanéité de l'accueil d'une petite ville et de toute sa population.

A quand le prochain voyage ? Très bientôt probablement...

LES ANNEES D'OUVERTURE ET D'ESPOIR

Assemblée extraordinaire du 19 janvier 1997. Adoption des nouveaux statuts. Parmi les excusés, Adrien. Quelques jours auparavant, les responsables de l'Amicale des Anciens sont allés lui rendre visite. L'Amicale, c'est une idée de notre ancien président et actuel président d'honneur, Georges Friedly. Depuis 1986, elle est le trait d'union entre les musiciens actifs et les “ retraités ”.
Adrien et Sylvie sont heureux de pouvoir discuter “ musique ” avec les anciens copains de pupitre. La Lyre, ça reste un peu leur deuxième famille. Tiens, puisqu'on parle famille : leur arrière-petite-fille a été une des premières élèves de l'école de musique. C'était en 1990. Le comité se préoccupait du recrutement.
Marie-Jo Conus acceptait de consacrer quelques heures par semaine à la formation de jeunes élèves. Depuis lors, des instrumentistes chevronnés la secondent pour animer les cours. C'est ça l'avenir de la Lyre !

En débouchant une bouteille de Goron, Adrien a paru songeur.

  • La Lyre Musique Ouvrière n'a plus guère de points commun avec la fanfare qu'on a fondé en 1923...
  • Tu dis ça à cause du changement de notre local de répétition en 1986 ? Bien sûr que pour certains musiciens, quitter la Maison du Peuple après tant d'années, ça laisse un peu de nostalgie. Mais on doit remercier les autorités de la ville de mettre à notre disposition des locaux plus spacieux, à l'école de la Neuveville. Pour la Lyre, c'était tout simplement une question de survie.
  • Elle a aussi su faire preuve d'ouverture en se joignant aux sociétés du Giron de la Sarine. A Broc en 1995, c'était sa première “ cantonale ”. En 1993, la Lyre devenait la 100ème fanfare de la Société Cantonale des Musiques Fribourgeoises.
  • Pourtant, la Lyre ne renie pas ses origines. Elle fait toujours partie de l'Union Suisse des Musiques Ouvrières. Sa directrice est du reste présidente de la Commission de Musique qui met en place la prochaine fête fédérale de 1999 à Laupen. C'est une reconnaissance de ses talents musicaux et un honneur pour notre société.

Adrien a levé son verre à la santé de sa société avant d'ajouter :

  • Gardez l'héritage des fondateurs. Continuez d'accueillir tous ceux qui souhaitent faire de la musique, quelle que soit leur condition sociale. Conservez l'esprit de camaraderie qui a permis d'atteindre ce 75ème anniversaire et qui vous réserve encore de belles satisfactions.

P.S. Ne cherchez pas à savoir qui sont Odette, Adrien ou Sylvie. Ils sont issus de la pure imagination des auteurs de ces lignes.